Séminaire mensuel INA – MATRICE – Programme 13 Novembre
Suite aux attentats du 13 novembre 2015, un vaste programme de recherche transdisciplinaire sur douze ans a été lancé avec le soutien du Commissariat Général à l’Investissement (ANR). Piloté scientifiquement par le CNRS et l’INSERM et administrativement par HESAM Université, il compte trente partenaires. Le cœur du programme est le suivi d’une cohorte de quelque 1000 personnes qui ont été interviewées en 2016 et le seront en 2018, 2021 et 2026, tandis qu’une recherche biomédicale, portant sur 200 d’entre eux, permettra de mieux comprendre le trouble de stress post-traumatique et la résilience. Plusieurs autres études sont menées de conserve, avec un objectif : mieux comprendre l’articulation entre mémoire individuelle et mémoire collective d’un événement traumatique.
Déjà partenaire de l’équipex MATRICE, l’INA joue un rôle clé dans l’enregistrement audiovisuel de tous ces volontaires, avec l’aide de l’ECPAD. C’est donc en toute logique que l’année 2017-2018 soit pleinement consacrée à une présentation des enjeux et des premiers résultats du programme 13-Novembre dirigé par le neuropsychologue Francis Eustache et l’historien Denis Peschanski.
Comme les années précédentes, le séminaire INA-MATRICE-Programme13-Novembre est animé par Agnès Magnien et Denis Peschanski.
L’entrée est libre dans la limite des places disponibles, inscription demandée à : communication@memoire13novembre.fr
L’idée du programme Matrice naît dès 2009 du postulat posé par Denis Peschanski, historien et chercheur au CNRS à l’origine du projet : « les travaux sur la mémoire étaient dans une sorte d’impasse épistémologique (…) liée à l’incapacité de dialoguer avec d’autres domaines que les sciences sociales ». En 2011, Equipex, un équipement d’excellence dédié à la recherche, permet la création de cette plateforme consacrée à l’interaction entre mémoire collective et mémoire individuelle à travers notamment l’analyse de témoignages de la Seconde Guerre Mondiale et des attentats du 11 septembre 2001. Cette initiative est décisive.
Associé à Francis Eustache, professeur en neuropsychologie à l’Université de Caen, spécialiste de la mémoire humaine, Denis Peschanski décide d’ouvrir le programme 13-11 au sein de Matrice en réaction aux attentats du 13 novembre 2015 avec comme objet de travail la manière dont se construit et évolue la mémoire après ces événements traumatiques. « Une mission sociale du chercheur et une mission citoyenne », explique-t-il. Le programme 13-11 repose dès lors sur la transdisciplinarité, soit une recherche unissant de multiples domaines scientifiques (histoire, psychologie, ingénierie, sociologie, information-communication, etc.) autour d’un objet d’étude commun.
Le programme 13-11 se composent de six grandes études, parmi lesquelles :
∠ L’Étude 1000, inspirée en partie du travail du psychologue américain William Hirst après le 11 septembre 2001, consiste à interroger, quatre fois en dix ans (de 2016 à 2026), près de 1000 personnes volontaires (934) de sexes, d’âges, de lieux, de catégories socio-professionnelles différentes et réparties en 4 cercles suivant leur degré de proximité des lieux des attentats. La phase 1 s’est déroulée entre avril et octobre 2016.
∠ L’Étude Remember repose, elle, sur l’examen neurologique de 192 personnes, parmi les 1000 déjà participants de l’Etude 1000. Après s’y être soumis à Caen en 2016, les volontaires poursuivront l’expérience en 2018 et 2021 pour tenter de « mieux comprendre le fonctionnement du cerveau » et de répondre plus concrètement au syndrome de stress post-traumatique.
∠ L’Étude ESPA de Santé publique France, l’agence nationale de santé publique, analyse l’impact psycho-traumatique des attentats du 13 novembre et les dispositifs de soin proposés en réaction. Réalisée en étroite collaboration avec les acteurs de terrain, associations de victimes et institutions, l’enquête permettra d’aider les pouvoirs publics à agir en faveur des populations touchées et d’améliorer, à l’avenir, les stratégies de réponse à adopter en cas de situations exceptionnelles.
La Directrice du pôle « Evaluation et société » au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC) a présenté les résultats de l’enquête « Les français face au 13 novembre et au terrorisme », parmi les grands travaux du programme 13-11.
Mené en juin 2016 et janvier 2017, ce protocole a impliqué « entre 2000 et 3000 personnes », réparties sur toute la France, répondant à un questionnaire classique, en face à face puis en ligne, l’une ou l’autre de ces deux méthodes ayant forcément un impact sur les réponses obtenues. Cette étude a permis d’avoir « une vision des évènements sur l’ensemble de la population » sans pouvoir néanmoins obtenir les « richesses de matériaux » du programme 13-11 qui, lui, soumet près de 1000 volontaires à des entretiens personnalisés.
Les données sont issues des enquêtes sur les « Conditions de vie et Aspirations des Français » de juin 2016 (6 mois après les attentats) et janvier 2017 (1 an après).
Pour compléter, téléchargez la note du Crédoc sur cette enquête en cliquant ici
Il a présenté les résultats « à mi-parcours » de son enquête « Mémoire et mise en récit des attentats de 2015 dans le monde scolaire », qui vient amplifier un travail plus général sur la question de la mémoire et des enjeux de mémoire à l’école.
Démarrée en avril 2017 pour une fin prévue en 2019, ce travail repose sur les témoignages uniques d’acteurs du monde scolaire après les attentats de Charlie Hebdo et du 13 novembre 2015, les deux évènements n’ayant pas eu le même écho auprès d’eux. « Un véritable dialogue existe entre janvier et novembre 2015 », précise Sébastien Ledoux en ce sens. L’historien s’est ainsi intéressé à toutes les strates de l’Éducation Nationale, de la maternelle jusqu’au cabinet de la ministre de l’époque, Najat Vallaud Belkacem, se focalisant, à ce jour, sur 13 établissements franciliens des académies de Paris, Créteil, et Versailles.
Bibliographie :
La génèse de l’Étude Remember, volet biomédical du programme 13-11, remonte à l’été 2016, moment notamment d’une rencontre déterminante entre Alain Fouks, président du CNRS, et le duo composé des deux co-directeurs du programme, Francis Eustache, neuropsychologue (INSERM), et Denis Peschanski, historien (CNRS).
L’un des points centraux à déterminer alors est celui du paradigme, soit le dispositif à mettre en œuvre auprès des futurs volontaires de l’étude. C’est dans ce cadre que Pierre Gagnepain, désormais chercheur associé INSERM, prend « une place déterminante » selon Francis Eustache. De retour d’un post-doctorat à Cambridge, en Angleterre, il leur propose ainsi un paradigme intitulé « Think/no-Think » visant à déterminer l’impact du trouble de stress post-traumatique (TSPT) et de comprendre les raisons vraisemblables d’une « résilience » à ce syndrome.
*Le titre de la séance s’est avéré, a posteriori, peu adapté à son contenu, les résultats présentés étant uniquement « préliminaires »
Depuis novembre 2016, la pédopsychiatre Florence Askenazy coordonne le programme transdisciplinaire 14/7 à destination de 150 enfants de 6 à 12 ans, victimes de dommages psycho-sociaux à la suite des attentats du 14 juillet, à Nice. En filigrane, il y a cette phrase du psychanalyste Sandor Ferenczi qu’elle « rappelle à chaque fois » pour justifier ce besoin : « Ce que vous ne voulez ni ressentir, ni savoir, ni vous rappeler, est encore pire que les symptômes dans lesquels vous vous réfugiez ».
Entourée d’une équipe, dont la plupart des membres dispose d’une formation analytique ou psycho-dynamique, la chef de service de pédopsychiatrie de l’hôpital Lenval plaide pour une recherche « sur le temps long » visant à pleinement reconnaître la parole des jeunes traumatisés.Cette étude, uniquement financée par des dons privés, répond également à une forme de « confusion des sentiments », entre haine et culpabilité, exprimée au lendemain de l’attentat, qui ne cesse depuis d’engager l’éthique personnelle et professionnelle du personnel de santé impliquée.
Bibliographie :
Moins d’un mois avant le début de la seconde phase du Programme 13-11, plusieurs chercheuses associées ont exposé des pistes de recherche sur la base des témoignages recueillis lors de la première phase, dans le cadre de l’Étude 1000. Cet ensemble permet de mieux comprendre les diverses réactions des témoins ainsi que leur mémoire. Pour rappel, sur les 934 entretiens réalisés en 2016, 355 relevaient du cercle 1, à savoir de personnes directement exposées aux attentats (survivants, endeuillés, témoins et primo-intervenants).
La première phase de l’Étude 1000 a vu participer 148 personnes catégorisées comme cercle 2 regroupant les résidents et usagers des quartiers visés par les attentats (Saint-Denis, 10e, 11e et une partie du 12e arrondissements de Paris). Séverine Dessajan, enquêtrice en 2016, et Nancy Girard, qui a transcris une partie de ces entretiens, ont décidé d’étudier cet axe de recherche sous l’angle, notamment, de la perception particulière du choc, considéré comme « un évènement inédit de déstabilisation de la réalité quotidienne ». Cette présentation est une première ébauche de leur projet.
Présente au sein du Programme 13-11 depuis juin 2016, Laura Nattiez était enquêtrice lors de la phase 1 des entretiens. Elle s’est, depuis, intéressée au processus de résilience des victimes des attentats, notamment concernant le rôle des liens privés. L’intérêt de cette présentation est ainsi d’exposer des hypothèses quant à l’impact d’un tel évènement traumatique sur le couple et à l’influence du conjoint, « cet autrui significatif par excellence », dans la reconstruction de soi.
Docteure en histoire, Cécile Hochard a étudié la place des attentats du 13 novembre dans notre histoire contemporaine par rapport à d’autres évènements marquants comme la Seconde Guerre Mondiale. Ces premiers résultats se fondent sur les réponses données par les participants de l’Étude 1000 à la question « Est-ce que le 13 novembre vous évoque des évènements de l’Histoire avec un grand H ? », présente à la fin du questionnaire basé sur la mémoire émotionnelle.
L’analyse des réponses données par les volontaires, dans le cadre des questionnaires sur les mémoires émotionnelle et événementielle, permet de mieux comprendre la manière avec laquelle ils définissent leur traumatisme. Ingénieur de recherche, déjà à l’origine de la plateforme LinkRBrain pour Matrice Memory, Salma Mesmoudi décrypte ici certaines des informations émanant de ces formulaires, notamment lorsque l’enquêté ne se retrouve dans aucun des choix proposés.
Sur la base d’une cinquantaine d’entretiens du cercle 1 qu’elle a réalisée, la sociologue Danielle Rozenberg propose des idées d’études centrées sur l’évolution des mémoires des attentats du 13 novembre 2015, avec une importance particulière accordée à la centralité de la victime.
Après une thèse de sociologie, soutenue en 2006 à l’EHESS, sur « L’expression des souvenirs à travers le titre de Juste parmi les Nations », Sarah Gensburger, aujourd’hui chercheuse au CNRS et membre du consortium du projet 13 novembre, s’intéresse aux dynamiques sociales de rappel du passé dans des contextes et à des périodes variées. Depuis quelques années, son travail est centré sur l’espace, physique et social, de la ville de Paris et des pratiques mémorielles qui s’y déploient.
Cela fait dix ans que cette spécialiste des sciences sociales de la mémoire habite boulevard Voltaire dans le quartier de République et tout proche du Bataclan. Avec les attentats du 13 novembre puis les mémoriaux éphémères et les hommages successifs qui ont suivis, son objet de recherche est en quelque sorte arrivé en bas de chez elle. Cette expérience l’a conduite à ouvrir un blog de recherche intitulé « Chroniques sociologiques du « Quartier du Bataclan » » tenu de manière quotidienne puis hebdomadaire entre décembre 2015 et octobre 2016.
Ce travail de « sociologue-habitante » ou « habitante-sociologue » croise plusieurs méthodes et matériaux : ethnographie, quantification, observations participantes, archives, photographies etc. Dans la terminologie du programme 13 novembre, il porte ainsi principalement sur le « Cercle 2 », englobant les habitants et usagers de ce quartier, mais également le « Cercle 3 » puisqu’elle a accordé un intérêt particulier aux personnes venues sur les mémoriaux éphémères et les rues de ce quartier. Les chroniques écrites par Sarah Gensburger ont été publiées sous la forme d’un livre, avec plus de 150 photographies originale, dans Mémoire vive. Chroniques d’un quartier. Bataclan, 2015-2016 (Anamosa, 2017). Elle a été lauréate de la French Voices Award en 2017.
Bibliographie :
Gérôme Truc – CNRS (Institut des Sciences sociales du Politique, IMR7220)
Sociologue au CNRS, Gérôme Truc s’est rapidement intéressé aux effets provoqués par les attentats au sein de la société. De cette problématique est né un questionnement profond sur la notion de « concernement » afin de comprendre les raisons pour lesquelles une personne, autre que victime directe, peut se sentir plus ou moins touchée par de tels évènements. Cette approche fera l’objet d’une thèse, soutenue en 2014 après huit ans de recherche, intitulée : « Le 11 septembre européen : la sensibilité morale des européens à l’épreuve des attentats du 11 septembre 2001, du 11 mars 2004, et du 7 juillet 2005 ». Couronné du prix de la Recherche de l’IINAthèque en 2015, il publie, en janvier 2016, un livre, tiré en grande partie de cette thèse, « Sidérations, une sociologie des attentats », complété d’un avant-propos à la suite des attentats du 13 novembre.
L’appel « Attentat-Recherche » du CNRS, prononcé par l’ancien président du CNRS Alain Fuchs, lui donnera l’occasion de prolonger ce travail en créant, en mars 2016, le projet REAT (La réaction sociale aux attentats : sociographie, archives et mémoire). Présenté sous la forme d’un blog, REAT vise notamment à accompagner les archives de Paris pour rassembler les messages sur les mémoriaux populaires et autres lieux symboliques post-attentat. Il existe ainsi une imbrication forte entre son travail personnel et les recherches postérieures sur la question de la mémoire des attentats, notamment le Programme 13-Novembre. Depuis décembre 2015, Gérôme Truc en est l’un des principaux contributeurs jusqu’à participer activement au protocole d’enquête suivi durant les différentes phases de l’Étude 1000.
Bibliographie :